L’icône de notification l’avait forcé à lever la tête de ses copies. Il avait d’abord froncé les sourcils, surpris, puis son visage s’était soudainement éclairé d’un large sourire.
Est-ce qu’il s’attendait à ce qu’elle lui écrive ? Probablement. Ça paraissait un peu prématuré mais, après tout, il était toujours le premier à dire que la patience ne sied qu’aux immortels.
Il s’empara de l’appareil d’un geste vif, agita ses doigts agiles sur l’écran tactile, effaça, puis recommença. Pas question d’envoyer une réponse bateau. Un simple “comment ça va ?” ne serait pas à la hauteur du professeur de littérature qu’il était. D’ailleurs la question qu’elle lui posait réclamait un peu de réflexion. “C’est que je ne plaisante jamais avec les livres, moi, Madame,” lui avait-il lancé lorsqu’ils s’étaient rencontrés quelques heures plus tôt. Elle avait rit de bon coeur et avait ajouté d’un air espiègle : “Il semblerait que Monsieur ne rigole pas avec grand chose.” Sur ce elle lui avait pris la main et l’avait entraîné dans la foule. Ils avaient dansé jusque tard et s’étaient quittés contre leur gré dans cette rue pavée du coeur de Montréal, uniquement parce qu’il ne voulait pas faire faux-bon aux amis qui l’accompagnaient.
Il se gratta la tête, mordilla le bouchon du stylo rouge avec lequel il inondait présentement de remarques les devoirs de ses élèves. Il fixait encore la question qui scintillait sur l’écran lorsque ce dernier s’éteignit. Le temps était écoulé. Il se mit à pianoter :
Elle : Si tu devais partir vivre sur une île déserte et que tu ne pouvais apporter qu’un seul livre, lequel choisirais-tu ?
Lui : C’est une question impossible, tu le sais bien. Est-ce vraiment la raison pour laquelle tu m’écris ? (et il ajouta un smiley clin d’oeil)
Elle : Il est fort possible que non (smiley ange)
Lui : Alors il serait peut-être temps de m’éclairer
Elle : C’est qu’il existe plusieurs versions de cette réponse (smiley songeur)
Lui : Et laquelle est-ce que je préférerai ?
Elle : Alors là, aucune idée, c’est que je ne te connais pas, tu vois.
Lui : Tu n’as qu’à me donner toutes les versions et je pourrais choisir celle que je préfère (smiley grand sourire)
Elle : La version sirop de glucose serait : parce que je me suis trouvée vraiment idiote de ne pas t’avoir glissé à l’oreille « j’ai terriblement envie de toi et mon lit est bien assez grand pour nous deux. ». La version édulcorée donnerait : parce que je te trouvais sympa et que ca aurait été dommage de perdre le contact. La version sirop d’érable pourrait ressembler à ça : parce que j’aurais bien besoin d’un Monsieur Désilets dans ma vie. Ma connaissance de la culture québécoise est bien trop limitée à mon goût et je ne serais pas contre l’idée de te laisser combler mes lacunes. (smiley clin d’oeil)
Il déglutit. C’est qu’elle n’y allait pas de main morte. Il hésita un instant, amusé et quelque peu décontenancé.
De l’autre côté de l’écran, elle regardait les trois petits points s’agiter, signe d’une réponse imminente. Elle était un peu nerveuse. Elle espérait ne pas l’avoir froissé avec son rentre-dedans peu subtile. Elle l’imaginait, mi-gêné, mi-joueur, comme il l’avait été tout au long de la soirée, tantôt en la cherchant, tantôt en l’ignorant. Elle voyait ses yeux rieurs chercher une réponse un peu grinçante. Elle n’avait qu’à fermer les yeux pour le voir mordiller le capuchon de son stylo rouge.
Le seul hic : elle ne lui avait jamais demandé son numéro.